Dans les montagnes de Pologne, un camp de vacances du Rotary offre à 26 enfants traumatisés par la violence la chance d’être à nouveau des enfants
Malgré les stigmates émotionnels laissés par sa vie dans une région en guerre de l’Ukraine, Mysticta Berlet est espiègle comme l’est tout garçon de 12 ans qui part en colonie de vacances.
Il veut rire, faire des farces et, la dernière nuit du séjour, « nous couvrirons tout le monde de dentifrice », déclare-t-il avec enthousiasme.
Mykyta et les 25 autres jeunes ukrainiens qui se rendent à la station de ski de Zakopane, dans les contreforts du sud de la Pologne, ne songent naturellement qu’à s’amuser. Mais leur répit de deux semaines, organisé par des membres du Rotary, comporte un but plus élevé: aider les enfants à se rétablir et à être en mesure d’affronter le traumatisme qu’ils vivront peut-être à leur retour.
Tous ont un parent, un frère ou une sœur qui ont été tués ou blessés au cours des combats en Ukraine. Les psychologues du camp les accompagnent dans un programme associant l’évasion avec la thérapie.
Durant deux ans, Olga Zmiyivska, membre du Rotary club de Kharkiv Multinational, en Ukraine, a pris en charge des enfants au camp et a été témoin de son impact.
« Après leur séjour, dit-elle, ils sont mieux disposés à établir des contacts et à ouvrir leur cœur. »
La guerre a franchi leur seuil
Dans l'est de l'Ukraine, les combats entre les rebelles pro-russes et l'armée ukrainienne ont fait des milliers de morts, et des millions de personnes ont été déplacées.
Ayant grandi durant ce conflit de près de quatre ans, la plupart des campeurs ne se souviennent pas d'une vie sans guerre. Ce qu’ils racontent des combats manque de lien avec la réalité, et ils taisent l’horreur véritable. Certains sont sur leurs gardes et hyper-vigilants, d'autres ne parviennent pas à dormir ou souffrent de cauchemars, d’autres encore se replient sur eux-mêmes et gardent leurs émotions secrètes.
À Zakopane, nichée dans les montagnes pittoresques des Tatras, des membres du Rotary permettent aux enfants de récupérer dans un environnement tranquille. Ils dorment dans des cabanes confortables, sur les rives d’un lac limpide flanqué de collines verdoyantes.
Le programme, intitulé « Vacation 2017 Zakopane: Well-Being for Ukrainian Kids » (Vacances 2017 à Zakopane : offrir le bien-être à des enfants ukrainiens), comprend les activités d’un camp de vacances traditionnel, ainsi que des excursions encadrées par des professionnels de santé mentale. Plus de 100 enfants y ont participé au cours des quatre dernières années.
Durant leur séjour, la psychologue et art-thérapeute Olha Hrytsenko aide les enfants à gérer leur souffrance.
Cette année, les campeurs ont séjourné dans un village de montagne afin de se familiariser avec les traditions locales, visité la ville historique de Cracovie et ils ont pu découvrir les châteaux, les mines de sel et les sources chaudes du sud de la Pologne. Les activités quotidiennes sont simples mais bienfaisantes.
Yuriy Paschalin et Vlad Tsepun, tous deux âgés de 12 ans, sont devenus de grands amis après que leurs pères ont été tués par des tireurs d'élite. Les excursions les ont aidés à se détendre, et à exprimer la curiosité propre à l’enfance.
« Le programme permet à ces enfants d’être encore des enfants et de vivre les émotions des enfants », déclare la psychologue et art-thérapeute Olha Hrytsenko.
« Ils découvrent et assimilent une autre culture, une autre langue et d’autres comportements, (et) peuvent établir des comparaisons, ainsi que tirer des conclusions sur ce qui est bon et ce qui est mauvais. Cela les aidera à se retrouver eux-mêmes. »
Rompre le silence
Interrogés sur leurs familles, les enfants parlent souvent de leurs parents, de leurs frères et sœurs, de leurs grands-parents et même de leurs animaux de compagnie. Puis leurs regards changent. Ce qu’ils ont de joie enfantine s’efface, ils ne gigotent ni ne s’agitent plus. Au lieu de cela, l’on peut clairement lire la douleur sur leurs visages. Et c’est le silence.
Comme de nombreux enfants, Dima Tkachuk (11 ans) ne veut pas évoquer la mort de son père. Parler de la mort la rend trop réelle.
Son père a trouvé la mort dans une zone de conflit militaire et c’est dans cette même zone que la mère de Dima, qui sert également dans l'armée ukrainienne, a été envoyée.
L’on se souvient toujours d’avoir perdu un être aimé. La tâche n'est pas d'oublier, mais de saisir l'essence de cette perte et d'apprendre à être heureux après elle.
L’on se souvient toujours d’avoir perdu un être aimé. La tâche n'est pas d'oublier, mais de saisir l'essence de cette perte, et d'apprendre à être heureux après elle.
Olha Hrytsenko
art-thérapeute
Dima, cependant, a pu faire entrevoir l’anxiété de sa famille. Lorsque leur mère a rejoint les troupes de combat, a-t-il expliqué, son frère de 18 ans a commencé à fumer et à boire.
« Parfois, il fait des choses dont on ne peut pas être fier », dit-il.
Les psychologues et le personnel du camp savent qu'ils ne doivent pas faire pression sur les enfants pour qu'ils se confient. Au lieu de cela, ils les mettent en confiance grâce à des jeux collectifs, des activités de plein air, l’art-thérapie, en même temps que des consultations psychologiques individuelles.
C’est, selon les experts, parce que les enfants sont plus vulnérables au traumatisme psychologique de la guerre qu’ils se replient sur eux-mêmes. Renouer des liens affectifs est essentiel à leur rétablissement. En l’absence de soins, les enfants seront plus susceptibles, dans leur vie adulte, d’être auteurs de violence familiale, de devenir toxicomanes ou de perdre leur emploi.
Lorsqu’un déblocage a lieu, les thérapeutes écoutent sans intervenir, tandis que les larmes coulent.
« Il faut toujours du temps pour surmonter la perte. Ce temps est nécessaire au processus que nous appelons ‘travail du deuil’ », explique Olha Hrytsenko.
« L’on se souvient toujours d’avoir perdu un être aimé. La tâche n'est pas d'oublier, mais de saisir l'essence de cette perte, et d'apprendre à être heureux après elle. »
Rêves et convictions
Au camp de Zakopane, Valérie Tkachuk (12 ans), venant de Dnipro, en Ukraine, a été lente à faire confiance aux autres. Ses réponses étaient souvent courtes et précises.
Son père a été blessé au combat alors que sa mère enceinte était à la maison pour s'occuper de la famille. Valérie s’est repliée sur elle-même, a cessé de communiquer avec ses pairs, et s’est mise à dormir dans le sac de couchage de son père sur le balcon.
« Cette année, dit-elle, a été la plus difficile de ma vie. »
On lui a demandé de fermer les yeux et de se rappeler le moment le plus agréable qu’elle a passé au camp, afin de la faire sourire pour la photo.
Les yeux fermés, Valérie s’est mise à pleurer, et s’est confiée comme elle ne l’avait jamais fait au camp :
« Je me fais du souci pour mon père, car il est inquiet à cause de maman. Et il n’a pas le droit d’être inquiet, car il peut avoir une crise cardiaque. »
Valérie rêve de suivre la voie de son père et de devenir militaire.
De nombreux enfants qui grandissent durant la guerre sont attirés par l'armée. Leur vulnérabilité, affirment les experts, leur sentiment d'impuissance et leur manque de confiance rendent attrayante l’image de solidité du combattant.
Dima se dispose à faire carrière dans l'armée. Sasha Kruglikov (9 ans), dont le père a trouvé la mort dans le conflit, se voit déjà en soldat. Il aime la lutte et le karaté, et dit qu'il veut défendre son pays quand il sera grand.
Créer un lieu de guérison
Au début de 2014, lorsque le conflit en Ukraine a commencé, les membres du Rotary se sont mobilisés pour apporter leur aide.
« Nous nous sommes dit : pourquoi ne pas organiser des vacances pour ceux dont l’enfance était affectée par la guerre », explique Ryszard Luczyn, membre du club de Zamosc Ordynacki, en Pologne.
Barbara Pawlisz, du club de Sopot International, en Pologne, et Łuczyn ont reçu le soutien du comité inter-pays Pologne-Ukraine. Les comités inter-pays du Rotary sont des réseaux de clubs situés dans deux pays au minimum, et ils travaillent souvent ensemble à réaliser des actions de service, ou à favoriser la paix entre les habitants des pays en guerre. Les clubs de Biélorussie, de Pologne et d'Ukraine font partie d’un tel réseau.
Mis en place en 2014, le programme Well-Being for Ukrainian Kids a eu, à l’origine, des résultats mitigés. Les enfants de 8 à 17 ans ne s'entendaient pas toujours. Leur traumatisme de guerre était récent, et la communication entre les groupes d'âge était difficile.
Les membres du Rotary ont reconnu la nécessité de modifications, mais ils ne se sont pas découragés.
A la suite de cette première tentative, les organisateurs ont fixé, pour les campeurs, une tranche d’âge de 6 à 12 ans, et le nombre de clubs polonais apportant leur soutien au projet a plus que doublé, pour atteindre les 83.
Le district 2231 du Rotary en Pologne a collecté des fonds afin de financer les frais de voyage et d'hébergement des enfants et de ceux qui les prennent en charge. Le projet a également bénéficié du soutien de clubs en Suède et en Slovaquie. Les clubs ukrainiens ont participé à la sélection des participants de toutes les régions du pays.
« Il est toujours très difficile de retrouver les enfants traumatisés dans les petites villes et les villages. Nous avons donc lancé un appel à tous les clubs ukrainiens pour qu'ils nous aident », déclare Anna Kaczmarczyk, membre du club de Zamosc Ordynacki, en Pologne. « A présent, nous avons non seulement des enfants des grandes villes, mais aussi des régions reculées du pays. »
Une réussite ?
L’on observe de nets changements chez les enfants, disent les Rotariens.
Kaczmarczyk est la première à rencontrer les enfants à Lviv, en Ukraine, au départ de leur voyage. Ils sont parfois nerveux, ce qui peut les rendre irritables et agressifs.
Mais après le programme, ils sont détendus, souriants, pleins d'une nouvelle confiance en eux-mêmes.
« Nous maintenons ce programme parce que nous savons comment ces enfants réagissent, la manière dont ils changent, deviennent plus ouverts sur le monde et regardent le monde comme doit le faire un enfant », dit Anna Kaczmarczyk. La guerre les prive de leur enfance. Et ils conservent leurs rêves d’enfants. »
Après leur retour, les participants envoient des photos et des lettres exprimant leur expérience du camp de vacance aux organisateurs du programme et aux membres du Rotary.
Les enfants dessinent des portraits, des scènes de nature colorées, des châteaux, des rois et reines qui y habitent, des dragons. Parfois, ils écrivent des lettres à propos de ce qu'ils ont observé. Une petite fille s’est émerveillée de la propreté des rues et de la gentillesse des gens.
Qu'il s'agisse d’histoires fabuleuses ou d'observations pratiques, les enfants rapporteront chez eux de beaux souvenirs.
Les enfants victimes de violence peuvent être eux-mêmes sujets à la violence ; ce programme leur désigne une autre voie.
« Après des traumatismes tels qu’un accident de voiture, une catastrophe naturelle ou une guerre, deux extrêmes nous guettent : soit l’on cesse d'avoir peur de tout, soit l’on commence à avoir peur de tout. Je pense que ces enfants appartiendront à la première catégorie », affirme la psychologue Olha Hrytsenko.